Interface Homme machine (IHM)



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  • L’interface s’intercale entre l’apprenant, subjectif, et une application numérique formelle, objective. Elle doit, particulièrement en matière de e-learning, ne pas constituer d’obstacle à la progression : l’effort attendu est lié à l’apprentissage d’un savoir ou d’un savoir-faire déterminé, pas à la maîtrise et la conduite de cette interface. Or, les bénéficiaires de la formation n’ont pas tous la même dextérité, les mêmes référentiels, la même aisance avec la technologie. Comment être sûr que l’échec à une activité pédagogique est lié à un manque de concentration ou de sérieux, plutôt qu’à la difficulté de comprendre là où il fallait cliquer, quand et comment ? Afin de comprendre ce qui se joue entre l’apprenant et sa machine, Norman (1986) a défini une théorie simple que les concepteurs d’e-learning doivent intégrer.

    Pour Norman, l’apprenant doit communiquer avec le logiciel en trois étapes : d’abord une intention (je veux faire telle chose), ensuite une planification (pour cela je dois ouvrir tel onglet, et cliquer sur tel bouton), enfin l’action (la réalisation physique de ces actes) :

    Figure 1 : IHM – de l’intention à l’action

    En retour, le logiciel (l’application) renvoie à l’apprenant un signal pour l’informer de son traitement. Il enregistre (perçoit) les ordres, les interprète puis les formule :

    Figure 2 : IHM – de la perception au signal

    Norman a classé ces phases deux à deux, et introduit la notion de « distances » : sémantique (c’est la différence entre le niveau d’abstraction offert par le langage d’interface et le niveau de
    conceptualisation de sa tâche par l’apprenant[1]), articulatoire (c’est l’effort nécessaire à l’élaboration de la relation entre la signification de l’expression échangée avec le système et sa forme. La réduction de distance articulatoire vise à épargner l’effort de planification dans l’élaboration des commandes ou dans l’interprétation des résultats. Ainsi, réduire la distance articulatoire consiste, par exemple, à permettre à l’usager d’exprimer par un seul geste, quelque chose qui lui aurait demandé plusieurs gestes autrement[2]), et opératoire (l’effort nécessaire à la transmission de la commande et à la perception du résultat. La distance opératoire relève le plus souvent de l’aspect matériel[3]).

    Figure 3 : le cycle de Norman (1986)

    Cela suppose que les référentiels d’interprétation[4] des apprenants et des concepteurs soient les mêmes. Plus précisément, c’est aux concepteurs de concevoir histoire et interface en fonction des référentiels de leurs apprenants. En effet, Une information prend sens du fait d’une convention d’interprétation. Par suite une même information peut avoir des interprétations différentes, selon le référentiel dans lequel elle est interprétée. Par exemple un feu rouge a pour signification qu’il faut s’arrêter (référentiel d’interprétation de l’automobiliste) ou que l’on peut traverser (référentiel d’interprétation du piéton).  Si un thermomètre montre que l’eau de mer est à 19 degrés, elle est froide dans le référentiel d’interprétation d’un espagnol, et chaude dans celui d’un suédois. La constante binaire 11111111 (information) a-t-elle pour sens -1 ou 255, ou « faux » ? cela dépend du référentiel d’interprétation.

    Enfin, avec les LMS, les figures ci-après démontrent un paradoxe souvent rencontré : pour parvenir à la ressource dont l’ergonomie est adaptée aux apprenants, à leur référentiel, ces derniers doivent parfois franchir l’interface absconse d’une plate-forme peu intuitive, brouillonne, ou franchir les méandres sinueux d’un portail. C’est un peu comme si l’accès à une autoroute (de la formation), sure et balisée, devait se faire en passant par des chemins cabossés, mal ou pas fléchés.

    Figure 4 : quand paradoxalement, pour parvenir au simple, il faut passer par du complexe

     

    En conclusion, nous retiendrons de cette description quelques hypothèses générales concourant à l’apprentissage, sorte de cocktail puisant dans chaque modèle quelque principe fondateur :

    • L’acquisition de connaissances passe par l’interaction entre le sujet d’études et l’objets d’étude lui-même, par l’intermédiaire de résolutions de problèmes.
    • L’apprenant n’est jamais vierge de connaissances, au moins de conceptions ou représentations.
    • L’apprentissage, ce n’est pas empiler des savoirs, de manière linéaire ; et un nouveau savoir n’efface pas un ancien.
    • L’apprenant donne un sens à sa connaissance si celle-ci apparaît comme utile pour résoudre ou comprendre un problème.
    • Les interactions sociales contribuent à l’apprentissage.
    • L’interface et la sophistication du scénario contribuent au confort de la formation.

    Si l’enseignement s’adresse aux enfants, la formation s’adresse aux adultes. Jean-Paul Martin[5] (2012), à ce sujet, s’amuse du fait que l’enseignant qui enseigne à des enseignants devienne formateur. « Adulte » vient du latin adultus, « qui a grandi » désigne l’homme ou la femme dont l’âge dépasse la période de l’adolescence. L’âge adulte n’est pas institutionnalisé : l’âge de la majorité diffère en effet selon les pays.

    L’adulte présente des caractéristiques liées à sa maturité, sur les plans physique, émotif et intellectuel, construites par ses expériences cumulées (professionnelles et personnelles), qui empêchent sans doute de s’adresser à lui comme à un enfant. Ce postulat a généré recherches et débats, entre pédagogues pour qui enseigner c’est transmettre des savoirs, et andragogues pour qui former c’est favoriser l’évolution du comportement de l’apprenant. Pour ces derniers, l’andragogie porte le lien fondamental entre l’action et la formation : l’action permet à l’apprenant d’agir sur son environnement et ce dernier agit sur l’apprenant. Humberto Maturana[6] (1980) précise que l’andragogie s’inspire de l’autopoïèse, qui est la propriété d’un système à se produire et se maintenir en se conformant en permanence à son environnement, à maintenir sa structure malgré le changement de ses composants. Dans ce cadre, le formateur – loin de se limiter à transmettre du savoir – n’est que le créateur d’environnements favorables à l’apprentissage, et l’accompagnateur de la transformation.

    En ce début de XXème siècle, Eduard Lindeman propose une liste de spécificités de l’adulte apprenant, imposant au formateur de les respecter sous peine d’échec (à rapprocher de celle définie par Malcolm Knowles) :

    • Le besoin de savoir : l’adulte est motivé pour son apprentissage lorsqu’il a conscience du besoin et/ou de l’intérêt à suivre une formation. Ainsi donc, le formateur devra participer à expliciter le sens de l’effort.
    • Le concept de soi (chez l’apprenant) : l’adulte est responsable de ses décisions, de sa vie. Il aspire invariablement à se déterminer lui-même, et cherche à être reconnu comme un apprenant capable de s’autogérer.
    • La volonté d’apprendre centrée sur la réalité : l’apprentissage se construit autour du problème à résoudre, du questionnement, du dysfonctionnement constaté, de la tâche à réaliser. Le formateur veillera à s’appuyer sur des situations réelles, où les connaissances et les compétences acquises doivent permettre à l’apprenant de les affronter. Pour Lindeman, l’adulte apprend pour appliquer.
    • La motivation : l’adulte apprenant bénéficie de sources de motivation externes (obtenir un meilleur emploi, avoir un meilleur salaire, bénéficier d’une promotion) mais surtout de sources de motivation internes (améliorer son estime de soi, accroître sa satisfaction personnelle, démontrer aux autres des qualités ou un engagement…).

    Cette originalité chez l’adulte apprenant est parfois contestée : certes le niveau d’expériences n’est pas le même (entre adulte et enfant), mais chacun dispose de valeurs, d’histoires, de pratiques, de projets. Les sujets de motivation internes et externes agissent sur les deux. Mais développée à l’époque où la norme était le cours magistral, l’andragogie a permis pour le moins à prendre en compte les environnements sociaux et professionnels, et surtout l’expérience acquise de chacun.

    Si on considère généralement que la pédagogie est la théorie ou la science de l’éducation des enfants, par la mise en œuvre de méthodes appropriées à son développement intellectuel, l’andragogie est son corollaire pour le public adulte. L’adulte n’est pas « un enfant plus âgé » (voir définition de R. Mucchielli), même si sa formation doit combler des lacunes d’une instruction initiale insuffisante. Il porte un vécu, qui influence sa motivation, sa perception des choses. Et si les élèves représentent un public contraint, les adultes (sauf lorsque la formation leur est imposée par l’institution ou l’employeur, et l’intérêt non partagé) sont volontaires et acteurs de leur formation.

    
    

    [1] Lorsqu’un logiciel de traitement de texte dispose de notes en bas de page, il réduit la distance sémantique en prenant en compte une abstraction du référentiel de l’usager, qui, sans cela, aurait dû lui-même reconvertir cette notion en éléments de cadrage (marge inférieure, zone de pied de page, etc….), et par suite aurait eu un effort plus important pour manipuler les concepts dont il a l’habitude.

    [2] Exemple de conséquences : les élections à la présidence des USA en 2000 resteront célèbres en fournissant un très bel exemple d’usage inattendu de la distance articulatoire. L’alignement entre les cases à cocher et les noms des candidats était tel qu’il pouvait facilement entraîner des erreurs d’interprétation chez des citoyens inattentifs.

    [3] Un logiciel de dessin permet de sélectionner les objets dessinés et de les déplacer. Pour sélectionner un objet il suffit de positionner le curseur sur un des pixels de l’objet. La sélection d’objets filiformes devient très délicate sur le plan opératoire. Par exemple, il est très difficile de cliquer exactement sur un pixels dessinés d’un cercle. C’est pour cela que les logiciels de dessin implémentent cette sélection plutôt par le calcul de distance minimum entre le point visé et un point de l’objet. L’usager ne voit pas la différence et peut sélectionner facilement un cercle ou une courbe. Ceci est un exemple pratique de réduction de la distance opératoire.

    [4] On appelle référentiel d’interprétation, l’ensemble des éléments d’une convention d’interprétation associant un sens à une information.

    [5] Formateur consultant au CAFOC de Nantes, « comprendre la formation des adultes » avec Françoise Delasalle – chroniques sociales.

    [6] Humberto Maturana est un biologiste, cybernéticien et philosophe chilien. Son travail s’inscrit dans le courant constructiviste, produisant des preuves expérimentales que la réalité est une construction consensuelle commune qui apparaît en fait comme existant « objectivement ».

     


    le 17/11/17


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