e-learning : présence ou distance ?



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  • En France, il est d’usage d’opposer présence et distance, lorsque l’on qualifie tel dispositif pédagogique. Adrien Ferro [1] (2012), remarque que l’antonyme de distance n’est pas présence mais proximité, et que celui de présence est absence. Il ravive de la sorte le propos de Geneviève Jacquinot [2] (1993) qui précise qu’absence et distance doivent être considérées distinctement dans le cadre d’un apprentissage. En différenciant la notion de présence et de proximité, il rappelle que « ce n’est pas parce que nous sommes à proximité que nous sommes forcément en présence de l’autre. On peut être à proximité et ne pas accepter l’altérité et on peut être à l’inverse à distance et se mettre en relation avec l’altérité de l’autre ». Donc, la présence à distance peut trouver toute sa place.

    Si l’on retient les quatre mots (distance, présence, proximité, absence) et que l’on les associe deux à deux tour à tour, on obtient quatre couples qualifiant alors des dispositifs, et résumant les différentes médiations possibles dans le cadre d’activités pédagogiques (entre pairs ou entre formateur et apprenant). Nous noterons que les notions d’interaction et d’interactivité sont ici représentées par la présence ou l’absence :

    figure 1 : Des couples de mots nouveaux, pour définir les situations d’apprentissage

     

    Présence de proximité :

    Nous sommes ici dans la description d’une réunion physique (unité de temps, de lieu, et d’action), mettant en relation un apprenant et des pairs, un ou des formateurs, une communion d’objectifs. Les échanges sont synchrones et les communications verbales et para verbales. Il s’agit d’interaction ; la communication est spontanée, et réagit instantanément aux conditions d’exercice (conflit, marque de découragement, enthousiasme…).

    Présence à distance :

    Ce duo qualifie la relation (médiation) entre un apprenant et d’autres acteurs (coach, formateur, enseignant, pair, tuteur…) réelle et tracée, sans que ces personnes ne soient physiquement présentes au même endroit. Les échanges sont synchrones ou asynchrones mais technologisés (moyens de communication : chat, téléphone, forum, visio et audioconférence, webinaire, c-MOOC…).  Les communications sont verbales (éventuellement en visioconférence, possible interprétation du para-verbal). Là encore, il s’agit d’interaction, et le mode de communication peut être spontané. On notera ici une unité de temps et d’action.

    Absence à proximité :

    Dans ce cas des acteurs sont réunis (des pairs) mais chacun peut poursuivre un objectif distinct. La médiation n’est ici pas incarnée (interactivité), et le duo exprime d’avantage une formation ouverte (grâce aux ressources, aux outils, aux dispositifs… mis en place pour parvenir aux objectifs visés). On notera ici une unité de temps et de lieu, pour les apprenants.

    Absence à distance :

    Proche du modèle précédent, la communication (la médiation, voire la remédiation) est dévolue cette fois à la technologie : interactivité. Seule subsiste l’unité d’action. La consultation autonome de ressources distantes (expression minimaliste et réductrice du e-learning) s’inscrit dans cette description.

    Cette lecture ou interprétation est originale. Elle s’organise autour des notions de regroupement ou d’isolement, et d’interaction ou d’interactivité. D’autres lectures sont possibles : Jacques Rodet [3] (2011) interroge quant à lui la notion de proximité à partir de la posture de l’apprenant :

    • Est-il proche de lui-même? Se connaît-il, accepte-t-il son statut d’apprenant ? A-t-il la distanciation nécessaire sur ses manières d’apprendre, ses préférences cognitives ? Ce questionnement interroge sa motivation, sa capacité d’autonomie, la métacognition.
    • Est-il proche de ses pairs? Dans la perspective d’un acte social, construit-il son apprentissage dans l’altérité, le débat, la co-construction ? cette fois, c’est le concept du conflit sociocognitif qui est interrogé (échange synchrone et de proximité, technologisé…). Le e-learning, à ses débuts, intégrait peu d’occasions d’échange. Les outils « 2.0[4] » participent depuis à favoriser ces conditions.
    • Est-il proche de son formateur (tuteur, coach, enseignant…) ? Sa sollicitation ne pose pas question, la relation est confiante ? les questions de l’identification des besoins de formation, du périmètre de l’aide souhaitée et possible sont posées.
    • Est-il proche du concepteur de la formation? Celui (ou l’équipe) qui œuvre à l’élaboration des contenus ne participe généralement pas à l’accompagnement des apprenants. C’est l’expression de la distinction entre les tâches liées à l’investissement et celles liées au fonctionnement (voir description ci-après). Être proche du concepteur de la formation, c’est donc comprendre ses intentions, adhérer à l’histoire (le storytelling) ou au scénario (la stratégie pédagogique) proposé – mais aussi aux modalités proposées, les préférences cognitives. Cette proximité est encouragée par l’expression d’objectifs pédagogiques clairs, d’une structure du cours limpide, d’attendus précis.
    • Est-il proche de l’institution? Qu’elle soit d’ordre administratif, organisationnel, commercial ou d’appartenance, le rapport avec l’institution définit une autre proximité (valeurs).
    • Est-il proche du savoir? Accepter de ne pas (tout) savoir, renoncer au sentiment d’omnipotence, accepter le bouleversement, identifier les acquis et les lacunes, prendre conscience que l’on ne sait pas, puis prendre conscience que l’on sait concourt à un rapport de proximité avec le savoir.

    Ces différents points de vue démontrent que les intentions (pour les concepteurs) ou les sentiments (pour les apprenants) sont pluriels et que la notion de proximité ne désigne pas systématiquement la présence physique. Geneviève Jacquinot-Delaunay introduit, en 2006, le sentiment et le coefficient de présence, en avançant notamment que la présence physique n’est qu’« une » des dimensions de la présence. Elle note que souvent, lorsque l’on parle des dispositifs technologiques et de la « distance » qu’ils introduisent et qui inquiète, on compare souvent, implicitement, une situation idéale d’un face à face mettant en jeu une forte médiation (une intercommunication dont on sait qu’elle n’est pas automatique – un enseignant peut être en face à face et complètement « absent ») et, de l’autre côté, une situation s’appuyant sur une technologie, à l’interaction nulle ou dégradée. Jacquinot propose de cesser de penser à la dichotomie « présence/absence » et encourage à penser, à travailler les modifications que peuvent entraîner, dans nos phénomènes perceptifs, l’intrusion de ces technologies qui nous obligent ou qui nous permettent d’imaginer une présence, et son bénéfice[5].

    Si les communautés d’apprentissage en ligne sont apparues aux États-Unis et au Canada à la fin des années 90, c’est en 2000 que sont modélisées progressivement les communautés d’apprentissage (Community of Inquiry) s’appuyant sur trois dimensions de la présence[6] : sociale, cognitive et éducative :

    • La présence sociale: elle se manifeste par les interactions entre formateur et apprenants et entre pairs, au travers d’expression de réactions affectives, d’ouverture à la communication et de réactions de cohésion : l’expression des émotions, le récit d’anecdotes personnelles, le sens de l’humour, le respect de l’autre, la référence explicite aux messages des autres, l’expression de son accord avec les autres ou le contenu de leurs messages, l’utilisation du prénom ou du tutoiement pour s’adresser à quelqu’un… Elle est définie comme la capacité des participants à se projeter eux-mêmes socialement et émotionnellement, dans toutes les dimensions de leur personnalité, au travers du média de communication qu’ils utilisent (Garrison, Anderson, Archer[7], 2000). La fonction de cette dimension de la présence sociale est de permettre et encourager la présence cognitive par la création d’un climat et d’un espace social favorable à la constitution d’une communauté d’apprentissage (conditions du « pas de côté » – voir page 174 ; strates de la pyramide de Maslow –  voir page 175).
    • La présence cognitive : elle renvoie aux capacités des apprenants à construire et à confirmer du sens, grâce à la réflexion et au dialogue dans une communauté d’apprentissage. Le processus d’apprentissage est basé sur le développement de la pensée critique. Selon Garrison, Anderson, Archer, si le type de débat privilégié est contradictoire, alors la forme d’apprentissage s’appuie sur le conflit sociocognitif, et si la collaboration est dite constructive, où la notion de conflit n’apparait pas nécessairement, alors elle s’appuie sur une perspective socioconstructiviste. La présence cognitive vise à proposer un environnement favorable à la médiation, contrôlée et organisée afin que les apprenants construisent leurs connaissances.
    • La présence éducative: elle garantit le bon déroulement des processus d’apprentissage (la stratégie pédagogique proposée). Le rôle du formateur consiste à organiser le dispositif et la distribution des activités, à encourager et provoquer les retours, à remédier aux constats d’échec ou d’erreur, à éveiller l’attention et l’intérêt de l’apprenant, à soutenir son engagement et son assiduité, à découper le cas échéant les tâches en sous-tâches plus faciles à appréhender, à aider à conceptualiser et à transférer les apprentissages. C’est la présence éducative qui constitue la clé de voute : elle condamne, par son absence, les pratiques de e-learning construites sans le recours possible à la médiation (autoformation médiatisée).
    
    

    [1] Journées du learning-center – INSET de Dunkerque – août 2012.

    [2] Apprivoiser la distance et supprimer l’absence ? Ou les défis de la formation à distance (Revue Française de Pédagogie, 102, 55-68) – 1993.

    [3] De la proximité en formation à distance – 1 mars 2011. https://sites.google.com/site/jacquesrodet/Home/essai/delaproximiteenformationadistance.

    [4] Le web 2.0 désigne généralement le « web nouvelle génération » c’est à dire l’ensemble des fonctionnalités communautaires et collaboratives (blogs, avis consommateurs, flux RSS, plateformes d’échanges vidéo, etc.) qui se sont fortement développées sur Internet à partir de l’année 2005. Source : http://www.definitions-marketing.com/Definition-Web-2.

    [5] Journées du e-learning, Université de Poitiers, 29/08/2006

    [6] « Le présentiel est un terme utilisé pour désigner le moment où les personnes qui suivent une formation sont réunies dans un même lieu avec un formateur ; La formation en présentiel correspond au mode de formation traditionnel, selon un mode magistral (information souvent descendante) et pour une durée prédéterminée » – Source : Eduscol (ministère de l’Éducation nationale) –  http://eduscol.education.fr/superieur/glossaire

    [7] E-learning in the 21st century. Routledge.

     


    le 17/11/17


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