Le cognitivisme regroupe 3 courants : le constructivisme, le cognitivisme « traitement de l’information », et le cognitivisme pédagogique.
Signature
La cognition[1] privilégie l’étude du fonctionnement de l’intelligence, de l’origine de nos connaissances ainsi que des stratégies employées pour assimiler, retenir et réinvestir les connaissances. Elle s’intéresse essentiellement à la perception, le traitement en mémoire, le langage et ce, en regard du fonctionnement du cerveau.
Description
Le cognitivisme succède au néo-béhaviorisme (au moins chronologiquement), en s’y opposant. En effet, il part du principe que des facteurs internes à l’individu sont en cause dans l’apprentissage. Il revendique l’accès à des processus cognitifs internes. Le style cognitif, personnel à chaque individu, définit des manières différentes d’agir face à une situation, ce qui est caractéristique du cognitivisme.
C’est le courant pédagogique qui fait l’hypothèse que la pensée est un processus de traitement de l’information, cadre théorique qui s’est opposé au béhaviorisme. La notion de cognition (dans le sens de processus) y est centrale. Elle décrit des stratégies pour assimiler, retenir et réinvestir les connaissances. Pour cela, elle s’intéresse à la perception, à la mémoire, au fonctionnement du cerveau.
Figure 1 – quelques grands actes du cognitivisme
Grandes figures
La première mise en cause sérieuse des conceptions béhavioristes remonte à la publication par le psychologue George A. Miller en 1956 de son fameux article » Le nombre magique 7, plus ou moins 2[2] » par lequel il met en évidence les limites physiologiques de la mémoire humaine. Selon ce chercheur, cette limite rendrait difficile la mémorisation de plus de 7 éléments isolés ce qui est difficilement compatible avec la conception béhavioriste qui voit la mémoire comme un réceptacle vierge dans lequel viennent s’accumuler les connaissances. Miller introduit la notion d’empan mnésique, comme le nombre d’éléments que l’on peut restituer immédiatement après les avoir entendus. La mémoire à court terme ayant une capacité limitée, ce nombre peut être plus faible si une tâche concurrente vient perturber l’enregistrement des éléments. Le jeu télévisé Burger Quizz, où Alain Chabat posait dix questions au concurrent qui devait ne donner les réponses qu’à la fin, illustre cette difficulté. Au quotidien, cette notion limite le nombre d’items dans une liste ou un menu pour être efficace : ainsi, dans les interfaces vocales (taper 1 pour accéder au service commercial, taper 2 pour…), l’utilisateur retiendra plus facilement les premiers items de la liste (effet de primauté) et les derniers (effet de récence).
Jérôme Bruner (1915-2016) est un autre précurseur du cognitivisme. Dans le cadre de ses travaux sur la catégorisation, basés sur le classement de cartes comportant des formes et des couleurs différentes, Bruner se rend compte que les sujets utilisent des stratégies mentales différentes. Certains procèdent à partir d’une carte de référence (focusing), d’autres réalisent un classement basé sur l’ensemble des cartes (scanning). Cette notion de stratégie mentale constitue un changement radical de perspective par rapport au béhaviorisme en s’intéressant aux démarches cognitives mises en œuvre par le sujet.
Il est essentiel de prendre en compte ce que l’apprenant connaît déjà : David Ausubel (1918-2008), est, comme Bruner, largement influencé par les idées cognitivistes, notamment par le rôle central joué par les processus de structuration dans l’apprentissage. Mais contrairement à Bruner, Ausubel refuse la conception constructiviste selon laquelle un apprentissage en profondeur ne peut se faire qu’en confrontant l’apprenant à des problèmes : pour lui, l’idée qu’un enseignement basé sur la communication d’informations par l’enseignant conduit nécessairement à des apprentissages de faible niveau est erroné car, pour autant que l’on prenne soin d’intégrer les connaissances nouvelles à celles que l’apprenant maîtrise déjà, cette forme d’enseignement peut être tout aussi efficace que d’autres stratégies telles que par exemple l’enseignement par découverte proposé par Bruner. Pour légitimer cette idée, Ausubel va s’attacher à mettre en évidence les éléments qui vont faciliter chez l’apprenant « l’ancrage » entre ce qu’il connaît déjà et ce qu’il aura à apprendre. Pour parvenir à cet ancrage et permettre un apprentissage significatif, Ausubel propose de recourir à divers éléments qui vont permettre de structurer le matériel d’apprentissage, les « structurants antérieurs ». Ce sont des textes courts, des schémas ou des graphiques, le plus souvent présentés en début de l’apprentissage, qui doivent faciliter la mise en relation des éléments faisant l’objet de cet apprentissage, ainsi que le lien avec les éléments déjà maîtrisés, disponibles dans la structure cognitive de l’individu. En parallèle des structurants antérieurs, Ausubel souligne le rôle d’une autre forme de structurants : les structurants comparatifs. Ces derniers ont pour fonction essentielle d’amener l’apprenant à établir des liens entre différentes parties du matériel d’apprentissage proposé en utilisant des tableaux, des graphes, des organisations…
Figure 2 – les conditions d’un apprentissage, d’après Ausubel
Pour Ausubel, l’efficacité d’une telle approche tient essentiellement au fait que la structure cognitive est elle-même organisée selon un principe hiérarchique basé sur la différentiation progressive. Ces principes proposés il y a plus de trente ans paraissent aujourd’hui évidents, mais à l’époque, au même titre que les approches proposées par Bruner, ces idées sont souvent apparues comme fort originales voire révolutionnaires par rapport aux approches préconisées par les tenants du béhaviorisme radical.
Et en e-learning ?
Avec l’émergence de l’informatique, qui a permis de concevoir un comportement intelligent sur la base d’un langage formel réglant la manipulation de symboles, le cognitivisme s’est développé et a supplanté le béhaviorisme dans l’étude scientifique des comportements intelligents. Il est devenu à partir des années 1970 un paradigme classique des sciences cognitives et de la philosophie de l’esprit.
Conclusion
En conclusion, l’influence des théories cognitivistes a provoqué l’émergence d’applications éducatives et d’un champ de recherche concernés par les modalités de représentation de la connaissance, de l’apprenant en particulier, au moyen de techniques généralement issues de l’intelligence artificielle. Ce domaine, qualifié à ses débuts d’enseignement intelligemment assisté par ordinateur (EIAO[3]) cherche à modéliser les connaissances dont dispose l’apprenant au moment de son apprentissage (modèle de l’élève), le contenu à apprendre ou les comportements à acquérir (modèle du domaine ou modèle de l’expert), afin d’amener le « novice » à se rapprocher de l’« expert » par l’entremise d’aides fournies sur la base d’un troisième modèle, le « modèle pédagogique », dont le rôle se limite généralement à sélectionner les connaissances de l’expert sur lesquelles portera l’intervention du système (Dillenbourg, 1993).
Figure 3 – le modèle de l’EIAO
Apprendre revient donc ici à « acquérir les connaissances nécessaires à la mise en œuvre du comportement cible ». Comme le résument Vivet et Lehuen (1998), le passage de l’EAO à l’EIAO marque une « évolution du découpage de la matière et de la prescription de scénarios pédagogiques en EAO à la représentation explicite de la connaissance à acquérir avec des techniques d’intelligence artificielle ». Les difficultés rencontrées par les chercheurs dans l’élaboration des « tutoriels intelligents » ont eu pour effet de freiner les travaux entamés par ce courant. Cependant, pour des auteurs comme Baker (2006) et Stahl (2006), celui-ci serait toujours actif dans les domaines de connaissance qui peuvent être définis de manière algorithmique.
Dans le prolongement des travaux de Piaget, certains auteurs ont créé des formes originales du constructivisme, appelées « néo constructivismes » :
- Le constructivisme structuraliste, que Pierre Bourdieu, professeur au Collège de France, définit dans les années 1970 comme la jonction de l’objectif et du subjectif ;
- Le constructivisme phénoménologique, d’Alfred Schütz : « à la base de la connaissance savante du monde social, il y a sa connaissance ordinaire : toute interprétation de ce monde est basée sur une réserve d’expériences préalables, les nôtres propres ou celles que nous ont transmises nos parents ou nos professeurs : ces expériences, sous forme de connaissances disponibles, fonctionnent comme schèmes de référence « au sein d’un stock de connaissances disponibles » ;
- Le constructivisme radicalde Von Glasersfeld (1990) : Apprendre est un processus d’adaptation dynamique vers des interprétations de l’expérience viables. L’apprenant ne construit pas nécessairement la connaissance d’un monde « réel ». Chacun crée sa propre réalité. Le constructivisme radical ne réfute pas une réalité objective, mais déclare simplement que nous n’avons aucun moyen de savoir ce que la réalité devrait être. Les constructions mentales, construites à partir d’expériences passées, aident à imposer un ordre au flot continu d’expériences de l’apprenant. Pourtant, lorsqu’ils échouent, à cause de contraintes internes ou externes, les construits changent et essaient de s’accommoder aux nouvelles expériences.
[1] Connaissance dans le sens de processus et de produit.
[2] Article paru dans le journal Psychological Review (1956).
[3] Le sigle EIAO sera utilisé dans un second temps pour désigner de manière assez large les environnements interactifs assistés par ordinateur.
le 17/11/17