Malcom Knowles[1] était convaincu que les adultes apprenaient différemment des enfants. Son premier travail sur l’éducation informelle[2] des adultes a mis en évidence certains éléments du processus d’apprentissage chez les adultes. La notion la plus proche qui lui semblait utilisable était l’andragogie. Cette notion existait déjà dans l’antiquité. Elle vient du grec : andros (homme) et agogos (guide). Elle se définit comme l’art d’enseigner aux adultes. À l’époque, Platon, Cicéron, Aristote et d’autres prophètes hébreux se questionnaient déjà sur la formation des adultes. Ce terme fut réutilisé dans un rapport de l’académie du laboratoire de Francfort par le spécialiste des sciences sociales Eugen Rosenstock (1921), qui précise que l’éducation des adultes requiert différentes approches et que la pédagogie est différente de l’andragogie. Peu après la fin de la première guerre mondiale a émergé, en Europe et aux États-Unis, la première vague d’idées sur la spécificité des modes d’apprentissage des adultes.
Avant la contribution de Malcolm Knowles, les apprenants adultes ont presque tous subis les méthodes de la pédagogie réservés à l’éducation des enfants apprenants. Selon lui, il existe plusieurs hypothèses qui caractérisent les adultes apprenants et qui les différencient des enfants apprenants :
- Le préalable à l’apprentissage : L’adulte doit savoir pourquoi il apprend, comment et ce qu’il apprend.
- L’expérience : Son expérience augmente avec l’âge et devient un réservoir utilisable pour les apprentissages (nous reviendrons plus tard sur cette particularité, qui peut constituer un frein pour tout apprentissage).
- La disposition à apprendre : La capacité d’apprentissage de plus en plus orientée vers des tâches de développement de ses rôles
- L’orientation à l’apprentissage : L’apprentissage est lié à sa problématique, ses situations problèmes. Le temps d’application n’est pas différé mais immédiat, il correspond à une demande.
- La motivation : elle est (entre autres) interne à l’individu et participe fortement au processus d’apprentissage.
Figure 1 : Comparaison des modalités d’apprentissage de l’enfant et de l’adulte, d’après Knowles
Knowles (1970) résume les principes d’une pédagogie spécifique pour adultes selon cinq grands points se dégagent :
- Une définition rigoureuse du but concret, qui permette que les heures de formation soient vécues avec une finalité perceptible,
- La responsabilité et l’engagement du stagiaire (de l’apprenant) à toutes les étapes de la formation,
- La transformation de la relation maître-élève (formateur-apprenant), pour que le pédagogue d’adultes ait l’autorité fonctionnelle d’un conseiller technique,
- L’utilisation des énergies du groupe comme tel,
- Et enfin le traitement des problèmes humains liés à la formation.
Plus tard, Roger Mucchielli[3] (1991) développera une nouvelle liste des caractéristiques de l’andragogie[4]. Leur histoire et leurs expériences concrètes dans laquelle ils se trouvent impliqués fait qu’ils sont sortis du type de relations de dépendance et de soumission caractéristiques de l’enfance pour accéder à une prise en charge d’eux-mêmes avec réalisme, pragmatisme. Ils ont conscience de leur insertion sociale, de leur situation, de leurs potentialités (de leurs faiblesses) et de leurs aspirations. Contrairement aux adolescents pour qui le plaisir d’apprendre est lié à la découverte expérimentale du monde inconnu et à l’imagination romantique de reconstruire le monde, les adultes ont acquis le réalisme et le souci de vivre dans ce monde en y traçant leur propre route. Certaines caractéristiques de l’enfance et de l’adolescence s’estompent (telles la curiosité universelle, l’impression des possibilités infinies) et la personnalité se rigidifie sous les rôles sociaux et des équilibres défensifs (motivations qui changent et résistances au changement).
Selon lui, et bien que le système traditionnel de la classe présente des avantages de par sa simplicité et sa commodité (organisation, suivi administratif…), la formation pour adultes ne peut se faire par la stricte reproduction du système scolaire ou universitaire, puisque :
Figure 2 : les conditions de l’adhésion des adultes en formation – Roger Mucchielli (1991)
Il s’agit donc, pour Mucchielli, de partir d’un postulat de base : l’adulte est ancré dans le réel, il a des responsabilités professionnelles et familiales (actuelles ou à venir), il aspire à une destinée qui lui est propre. Il caractérise donc un profil spécifique, nécessitant une approche particulière si on souhaite le former. Il convient donc, à partir de situations professionnelles concrètes (en lien avec son « référentiel »), et de comportements pratiques que doit s’organiser l’apprentissage. Aussi, une analyse de la situation professionnelle (existante et à atteindre) doit précéder la formation. Enfin, il est indispensable de comprendre l’origine de la demande de cette formation.
Andragogie et e-learning :
Pour ces auteurs, l’auto-formation est un rouage important de la démarche d’apprentissage chez l’adulte. Knowles rappelle la place centrale de l’apprenant au cœur du dispositif d’apprentissage. Cette règle est celle qui prévaut également en e-learning. Au contraire des modèles scolaires ou universitaires transmissifs classiques (centration sur le « maître »), le dispositif de formation pour l’adulte doit lui permettre une certaine autonomie et liberté à l’accès aux savoirs, sous le contrôle bien sûr d’un accompagnateur bienveillant, qui devient tuteur, facilitateur, médiateur. Cette posture andragogique est qualifiée par Knowles (1990) de « vision nouvelle et humaniste ». Il l’oppose à la pédagogie traditionnelle et mécaniste. Il instaure le contrat, qui représente l’outil le plus efficace pour la formation d’adultes. Philippe Carré (1992), dans le cadre de son travail sur l’auto-formation, reprendra ce principe comme l’un des piliers (parmi les sept) : « le contrôle principal sur le choix d’objectifs et de moyens d’apprentissage », par le contrat pédagogique. On doit donc retrouver en e-learning ces deux grands principes fondateurs : contrat pédagogique et auto-formation.
« L’apprenant devient alors coproducteur de la compétence visée, et ce d’autant qu’il aura été largement associé en amont du projet » (Carré, 2005). Le modèle andragogique de Knowles et le concept de e-learning connaissent ici un rapprochement fondamental.
[1] Malcolm Knowles (1913-1997) était un spécialiste américain de la théorie de l’éducation, notamment pour adultes
[2] Knowles n’a pas défini l’éducation informelle des adultes mais utilise le terme pour désigner l’utilisation des programmes informels et les connaissances acquises à partir de la vie familiale ou associative. Pour lui, un cours organisé (apprentissage formel ou académique) est le meilleur instrument pour des nouveaux apprentissages et des apprentissages intensifs. Mais l’expérience de l’action associative fournit la meilleure opportunité pour pratiquer et perfectionner les choses apprises. Les associations sont également utiles pour susciter des intérêts. Il comparera programme formel et informel mais précise qu’ils sont complémentaires.
[3] Roger Mucchielli, né en 1919 en Algérie, d’une famille corse, décédé en 1981, a été agrégé de philosophie et neuropsychiatre. Il était psycho-sociologue et psychopédagogue. Il a fondé en 1966 la collection Formation permanente, la plus importante collection française consacrée à la formation des adultes.
[4] Les méthodes actives dans la pédagogie des adultes, 8e éd., ESF éditeur, 1991.
le 17/11/17